21.12.2017 - Algorithms & Feelings

Jouer sur la peur de la mort, un pari gagnant

Lorsqu’il s’agit de prendre une décision, les êtres humains se laissent avant tout guider par leurs émotions. L’explication rationnelle à leur choix, ils la trouvent bien souvent une fois leur décision prise. Instinctivement, il serait logique de croire que les émotions positives sont celles qui possèdent le plus de poids dans la balance. Il faut bien avouer que pour convaincre une personne de réserver un voyage, la solution la plus facile consiste à jouer sur des émotions telles que la joie, l’enthousiasme ou la surprise !

Pourtant, les émotions négatives comme l’angoisse et la colère peuvent aussi pousser à l’achat. Pensez par exemple à l’effet créé par un sentiment d’urgence. Lorsque vous lisez sur un site de réservation en ligne qu’il ne reste plus qu’une seule chambre de libre dans l’hôtel de votre choix, la peur de vous retrouver sans logement pendant vos vacances vous gagne et vous réservez votre chambre sans perdre une minute. Les hommes politiques utilisent aussi cette technique de communication à leur avantage. Comment pensez-vous qu’une personnalité telle que Donald Trump est parvenue à se faire élire en tant que président ??

Instinctivement, nous pensons que les émotions positives sont celles qui poussent le plus à l’achat.

Il semblerait toutefois absurde de vendre des produits aux consommateurs en jouant sur l’émotion la plus négative connue de l’homme : la peur de la mort. Cette émotion n’est bonne qu’à les faire déprimer ou angoisser, n’est-ce pas ? Eh bien, il s’avère que cela n’est pas tout à fait vrai ! Une étude néerlandaise a en effet démontré que les personnes confrontées à la réalité de la mort sortent plus vite leur portefeuille de poche que lorsqu’elles sont exposées à un message publicitaire « neutre ».

Se recueillir sur sa propre tombe

Dirigée par le professeur en communication Enny Das, une équipe de chercheurs de l’université de Nijmegen a fait visionner un certain nombre de publicités à un panel de sujets. Quelques-unes d’entre-elles faisaient explicitement référence à la mort et montraient une pierre tombale sur laquelle étaient gravés le nom et la date de naissance du sujet testé, accompagnés du message « Combien de temps comptez‑vous attendre ? Abonnez-vous maintenant au Volkskrant pour 9,95 € ! » Il semblerait que ces publicités pour le moins lugubres aient eu sensiblement plus d’effets que leurs variantes plus « neutres », montrant par exemple un homme debout à côté de sa boîte aux lettres.

La peur de la mort est une peur universelle commune à tous les êtres humains et résulte de notre capacité de raisonnement avancée.

Cette incidence positive de la mort sur les sujets testés s’expliquerait par la Terror Management Theory, formulée par l’anthropologue culturel Ernest Becker. Selon celle-ci, la peur de la mort serait une peur universelle commune à tous les êtres humains et résulterait de notre capacité de raisonnement avancée. Les seules personnes capables de se défaire de cette peur seraient celles qui croient en une vie après la mort ou qui décident de consacrer leur vie à une cause supérieure, lui conférant ainsi davantage de valeur.

Acheter et lire un journal est, il est vrai, une bonne manière d’occuper son temps libre, mais un éditeur de journaux n’en reste pas moins une entreprise commerciale et non une œuvre de charité. Acheter la gazette et faire une bonne action sont deux actes totalement opposés, c’est pourquoi il reste encore à répondre à la question suivante : pourquoi souscrire un abonnement à un journal permet-il à nos sujets de se défaire de leur peur de la mort ?

J’achète donc je vis

Une seconde expérience menée par le professeur Das et son équipe a quant à elle livré des résultats bien plus parlants. Cette fois, les publicités attisant cette angoisse typique de la peur visaient à promouvoir d’un côté des boissons saines et de l’autre des boissons moins saines. Seule différence entre les publicités : celles relatives aux boissons moins saines mentionnaient explicitement que le produit contenait de grandes quantités de caféine et d’alcool. Toutefois, l’effet produit par les deux catégories de publicités s’est avéré identique, ce qui a permis à nos chercheurs de conclure que ce n’est pas tant le produit vendu qui permet de se défaire de sa peur, mais bien l’acte d’achat (conversion) en lui-même. « Lorsque vous achetez un produit, vous montrez que vous êtes un membre actif et valable de la société, ce qui permet de vous libérer de votre peur de la mort », expliquent les chercheurs.

Ce n’est pas tellement le produit en lui-même qui permet de se défaire de sa peur de la mort, mais bien l’acte d’achat.

Diverses campagnes cette fois bien réelles semblent confirmer les conclusions des chercheurs néerlandais :

Cette chaise de bureau en forme de cercueil symbolise les effets négatifs dus à une position assise prolongée. À travers cette campagne destinée à la Bolivie, Coca-Cola souhaite inciter les gens à bouger davantage et à acheter davantage de boissons rafraîchissantes, bien que cela ne soit naturellement pas inscrit noir sur blanc dans le texte.

 

Cette publicité argentine pour Tulipan, une marque de préservatifs, est non seulement lugubre, mais soulève aussi quelques questions dans les esprits. Les squelettes représentent-ils des amants ayant succombé à une IST particulièrement virulente ?

Les campagnes de sécurité routière misent elles aussi fréquemment sur la peur de la mort. Après avoir aperçu cette publicité pour un casque « mort 100 % garantie », de nombreuses personnes envisageront sans nul doute l’achat d’un vrai casque de moto.

La mort comme source de plaisir

Selon les chercheurs de l’université de Nijmegem, l’incidence positive de ces publicités pour le moins morbides s’expliquerait également par l’eudémonisme, une doctrine remontant à l’époque du philosophe grec Aristote. À en croire ce dernier, les êtres humains puiseraient dans les manifestations d’émotions morbides et déprimantes une forme de joie profonde. Bizarre ? Pourtant, de nombreuses personnes prennent du plaisir à lire, regarder et écouter des livres, des films et de la musique parfois très tristes. Pensez par exemple au film belge Alabama Monroe, à la musique de Nick Cave ou du groupe de métal Amenra. Eh bien, le même principe vaut pour la publicité : les consommateurs aiment être confrontés à des publicités morbides dans une certaine mesure, car cela leur permet de se défaire, même pour un temps, de leur peur de la mort.

Conclusion : lors des séances de brainstorming pour la création d’une campagne de pub, n’excluez pas d’emblée les concepts plus sombres. Au contraire, un memento mori dans une publicité peut faire office de wake-up call et pousser les gens à l’action. En outre, une telle approche est envisageable pour tous les types de produits. RIP RIP RIP, hourra !

Steven Heyse

Steven est copywriter. Son objectif ? Replacer des lettres dans le bon ordre pour composer des mots, qui formeront ensuite des textes. Amateur de vinyles et de bandes dessinées, Steven fait aussi de la musique ! Enfin, de temps à autre…

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